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Michael Dans 1971
Vit et travaille à Liège.

+32476865352
michaeldans@outlook.com


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Turlupin 1/ soumission.

    Hématome éditions.
https://nnstudio.be/turlupin-michael-dans/


When the water clouded over.
    Editions du caïd.
https://editionsducaid.com/products/michael-dans-when-the-water-clouded-over


Dry spell.
   
Editions du caïd.
https://editionsducaid.com/products/michael-dans-dry-spell



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TEXTES

    J’ai rencontré Michael Dans chez une amie commune. Elle m’avait dit : «tu vas voir, il est super !». C’était un vendredi soir, c’était la fin du printemps, mais il faisait encore vraiment froid et la tristesse de l’automne s’éternisait au-dessus de la Belgique comme un virus dans les poumons d’un enfant. Tout le monde en avait marre du froid, du manque de lumière, de l’humidité de caveau qui ne nous avait pas quittés depuis octobre. L’hiver et l’automne avaient semblé si longs, qu’à force on avait tous l’impression d’être des mourants qu’un infirmier aurait déjà installés à proximité de la chambre froide. Dans l’histoire de la Belgique, c’était d’ailleurs un moment particulier, on avait vraiment l’impression que c’était la fin de tout : le gouvernement d’alors menait une politique absurde et cruelle, l’économie mondiale n’essayait même plus de cacher qu’elle n’était qu’une belle saloperie, les tensions géopolitiques se traduisaient par l’apparition de guerres sanglantes aux quatre coins du monde et c’était aussi ce moment où toute une génération spontanée d’ahuris se faisait exploser au milieu de ce que les médias appelaient des «foules innocentes».

    C’est donc dans ce contexte que j’avais rencontré Michael Dans. Et que ce fut à ce moment là et pas à un autre a certainement son importance, car, pour tous ceux qui en ont un peu marre du monde et du mauvais goût de l’actualité, Michael apparaît immédiatement comme une sorte de bénédiction. Plus que n’importe qui d’autre que j’ai pu rencontrer, Michael dégage une franche et joviale impression de n’en avoir absolument rien à foutre, comme s’il avait compris un truc essentiel sur la négociation avec l’épouvante du quotidien : le monde pouvait bien crever dans son jus, sachant qu’il n’y avait plus rien à faire pour lui, Michael semblait avoir choisi de ne pas trop s’en faire en attendant la fin. Mi-viking, mi-Jivaro, mi-chevalier médiéval, mi-indien comanche, mi-yakuza, mi-punk, mi- haltérophile, Michael Dans a le profil excessivement rare de celui qui aurait pu tout faire ou rien du tout et qui a donc choisi de faire strictement ce qu’il voulait et ce qu’il voulait c’était faire quelque chose de tout simple en apparence : se balader la nuit, rencontrer des gens et les prendre en photo avec des flashs bricolés.

    Il m’avait montré ses photos qui avaient été publiées dans un livre avec une tête de mort en couverture et ces photos, je les avais immédiatement adorées. Elles m’avaient fait l’effet d’une grande fiesta décadente organisée dans le dernier château encore debout, au milieu des flammes de la fin des temps. Ces photos étaient comme lui, marrantes, tragiques, étranges... Entre la pornographie ludique, le fétichisme de sous-bois, la revue de sport moteur, le manuel d’architecture, le rapport de géomètre expert ou l’esthétique glacée de la petite annonce «ebay», elles traduisaient toutes l’indicible merveille de la pulsion vitale au milieu d’une civilisation arrivant à son terme, quelque chose du sourire narquois du condamné à mort face aux fusils du peloton d’exécution, une attitude que j’ai toujours trouvé assez classe.

    Bref, je lui avais demandé comment il faisait pour que des filles croisées au coin d’une rue acceptent de poser avec un manche de couteau planté dans le vagin ou emballées dans du cellophane ou recouvertes d’escargots et il m’avait répondu : «il suffit de demander». Ça m’avait, je l’avoue, fasciné. Comme si soudain le champ des possibles de ma propre vie s’ouvrait sur des immensités inconnues.  Je lui avais alors demandé si, à son avis, j’en serais moi même capable et il m’avait dit avec cette formidable franchise qui le caractérise : «non, avec toi ça va ressembler à un plan cul».

    Ce type avait tout compris : alors que j’étais passé du côté cynique du monde, alors que je voyais déjà dans l’exercice de la photographie une façon relativement minable d’espérer vivre des aventures à la saveur alternative, Michael, lui, avec ces photos d’insomniaques, de désespérés, de camés blafards, de filles cernées et de garçons mal nourris était resté absolument pur : il faisait des photos parce qu’il savait faire des photos et qu’il aimait faire des photos et que ces photos ouvraient sur des histoires et que les histoires, il n’y a rien de mieux pour attendre la mort. Alors, évidemment, plus tard, comme un vrai minable de copycat j’avais essayé d’en faire des photos à la Michael Dans : je la voulais cette lumière, je les voulais ces couleurs, ces corps et ces regards. Je m’étais misérablement planté, je n’avais obtenu qu’une soupe blafarde et sans aucun intérêt. Et j’avais dû reconnaître cette chose terrible : pour faire du Michael Dans, il faut être Michael Dans.

Thomas Gunzig, 2020.










STILL-LIFE

    Dans ses Histoires Naturelles, Pline l’Ancien nous rapporte cette anecdote piquante, ce concours entre deux peintres célèbres du cinquième siècle avant notre ère, Zeuxis et Parrhasios, tous deux maîtres du trompe-l’œil. Lors de ce coup de dé, Zeuxis, le premier, propose au jury la représentation d’une grappe de raisins si réaliste et naturelle, qu’un oiseau se pose à côté d’elle et se met à la picorer. Devant l’assemblée médusée, l’oiseau se heurte au mur et tombe sur le sol. Sûr de sa victoire, Zeuxis demande alors que l’on découvre l’œuvre de son challenger ; il s’avance lui-même afin de soulever le rideau qui cache la peinture de Parrhasios. C’est là, tendant le bras, qu’il s’aperçoit que le rideau est peint. Voici donc l’artiste lui-même leurré : le rideau qui recouvre l’oeuvre est, en effet, l’œuvre elle-même.
Je repense à cette anecdote fondatrice en feuilletant le corpus des photographies de fleurs de Michaël Dans, un ensemble de natures mortes. Cette série, que l’artiste développe depuis près de deux ans, est singulière ; elle semble même inattendue. Elle renoue avec la notion d’illusion et de trompe-l’œil. Elle revisite un héritage des beaux-arts. Et l’histoire des beaux-arts a toujours classé la nature morte comme un genre mineur dans la hiérarchie des représentations. Elle sonde cette autre tradition picturale, celle des Vanités, allégories du vain et du temps qui passe. Dans notre monde actuel, saturé d’images, où règne snapshots et images virtuelles, le genre pourrait sembler désuet, anecdotique, futile même. Que du contraire.


    Michaël Dans témoigne au fil d’une production sans cesse grandissante d’un redoutable éclectisme qui le mène de l’installation monumentale à la performance, du dessin à la photographie. Sans cesse, il s’échappe, - souvent de manière ludique -, crée des décalages, échafaude des plans de détournements, explorant avec pertinence l’ensemble des codes de l’art et de sa production contemporaine. L’enfance, la solitude, une certaine mélancolie, l’introspection, l’érotisme, la mort sont autant de fils conducteurs. Tout cela habite assurément ses natures mortes florales. Alors que notre environnement quotidien paraît progressivement se standardiser et s’aseptiser, ces photographies interrogent le statut de l’image au coeur d’une société consumériste qui, tout comme les images qu’elle génère, opère un glissement du réel vers l’hyperréel. J’ai vu apparaître les premières natures mortes florales de Michaël Dans lors d’une exposition au titre évocateur : That kind of wonderful. D’une certaine façon, on ne peut mieux dire.

    Tout est illusion. Michaël Dans ne quête pas les bouquets de fleurs au fil de pérégrinations qui le mènerait à la découverte d’univers particuliers témoignant d’autant d’histoires du goût. L’image n’est jamais « trouvée » ; ses composants, eux par contre, le sont ; ils sont même patiemment chinés. On n’ose imaginer l’entassement de vases, de nappes et napperons, de textiles et papiers peints que l’artiste a patiemment recherchés et collectés, des trouvailles qui ne sont pas nécessairement des curiosités, des objets communs, courants, répandus. Car, tout sera construction et composition. L’atelier studio est espace d’expérimentation et de mise en scène, l’artiste est à la fois photographe, concepteur, mais aussi set designer, pour reprendre le terme utilisé dans le monde de la publicité, accessoiriste de tous ces éléments qui, dans l’image, n’auront plus rien d’accessoire. La photographie, en ce cas précis, ne se résume pas à la capture d’une image, elle est l’aboutissement d’un processus de conception et de réalisation, une artificialité recherchée avec soin, cadrage, mise en en lumière et point de vue précisément adaptés. Soyons clairs ; il ne s’agit pas d’adopter une esthétique publicitaire, mais de s’en inspirer, tout en la mettant à distance, comme s’il fallait s’en méfier. Point question d’actuel lifestyle mais bien d’universel still life. Exemplative à cet égard est cette image de ces quelques fleurs plantées dans un vase droit en verre blanc, gage de transparence, voisine de trois conserves d’ananas Freshona, celles au sirop léger, posées en équilibre les unes sur les autres. Le ciel est bleu profond, le motif de la nappe d’une abstraction douteuse, l’ensemble éminemment pictural, - un leurre de plus -, les étiquettes des boîtes de conserve d’une aimable ringardise ensoleillée. Nous sommes prêts à plonger dans l’artifice du grand lagon bleu. Car un grand lagon ne peut être que bleu. Comme cette lumière rose qui baigne l’ambiance hyperréelle de cet autre bouquet, des roses rose, ne peut qu’être affectée, parfait artifice, une lumière rose hallucinante et entêtante pour des roses fanées. Oui, l’ironie est bien présente, la référence incisive, acidulée et le genre revisité, les genres même, tant celui de l’image publicitaire que ce domaine particulier de l’histoire de la peinture. Michaël Dans trompe notre œil. Il met à contribution tous nos systèmes référents. Cette rose noire, par exemple, ou plutôt cette rose blanche baignant dans un clair obscur, posée sur une table en bois. Sur la panse de vase, la représentation d’un tableau, une scène d’un autre genre, Suzanne et les vieillards, en médaillon. Tout ici, dans la composition et le cadrage nous renvoie à un classissisme pictural évident.

    L’artiste nous plonge continuellement dans le doute, le questionnement et entretient celui-ci avec un malin plaisir. Les objets qui, parfois, accompagnent la composition sont-ils indiciels ou ne le sont pas du tout ? Et ces tulles, ces gazes qui recouvrent certaines compositions florales n’apparaissent-ils pas pour ne protéger que leur propre mystère ? On cherchera, en vain, une métaphore. On serait rassuré par l’apparition de quelque allégorie. Non, décidément non, ce qui prime, ici, ce sont ces continuels va et vient entre photographie, peinture et art graphique ; ce qui domine le tout, ce sont d’impeccables constructions plastiques, très picturales, où rien n’est laissé au hasard. Alors que nous évoquions l’image aux strelitzias, ces fleurs tropicales que l’on nomme aussi oiseaux de paradis en raison de la forme de la fleur rappelant la tête d’un oiseau, Michael Dans me confia qu’il en découvrait le nom grâce à notre conversation. Non, il ne connaît pas le nom des fleurs qu’il achète et n’en a cure. Il n’attache aucune importance à leur rareté, à leur symbolique, à leurs usages sociétaux. Il les choisit en fonction de leur potentiel, leurs formes et leurs couleurs.










    Enfin, il y a ces papiers peints et ces nappes de table aux motifs floraux. Des papiers de fond, des papiers peints communs, vulgaires, kitsch, surannés, le décor de bon nombre de ces photographies, le rideau de Parrhasios en quelque sorte, motifs de fleurs peints et dessinés par d’autres. Ils sont gages d’une disharmonie, d’un « mauvais goût » parfois ou d’une vulgarité, qui ne fera que densifier l’incontestable attraction et fascination que ces images opèrent sur notre imaginaire. Michael Dans a poussé la logique du jeu à l’extrême, disséquant des fleurs fanées, les recomposant sur des nappes de cuisine ou sur des papiers peints floraux. Le trouble est garanti, le geste n’est pas dénué d’une certaine cruauté. Stillleven, Still-life. Une vie immobile. De cela aussi, on doutera. Certes, chaque image est un plan immobile, je n’en disconviens pas. Et pourtant, bon nombre semblent être habitée d’un souffle, même parfois d’un dernier souffle. Chacune de ces images est un moment choisi, mémento de vie, memento mori. L’une de toutes ces photographies nous éclaire, ce vase aux fleurs fanées, posé sur un livre, un livre de photographies consacré à Kazuma Ogaeri qui, lui aussi, capte l’illusion. L’artiste japonais photographie de très jeunes filles. Son esthétique est figée, chargée de tension sexuelle, une illusion érotique dans une nature omniprésente, sensuelle et apaisante. Certains bouquets de Michaël Dans sont d’une éclatante floraison, d’autres ont perdu leur fraîcheur ; il y a enfin, ceux qui sont définitivement flétris, rebus de cimetière. Oui, l’ensemble de ces natures mortes est traversé par le temps qui passe, ce mouvement de vie et de mort. Ne reste qu’une grande fragilité, une immense solitude, des souvenirs d’enfance ou d’autres temps révolus. Ne subsiste qu’une implacable lucidité. Tout, ici est illusion. Tout, aussi, est illusoire.

Jean-Michel Botquin, Novembre 2018



 








Morts annoncées



    Elles semblent ne vouloir se rendre, se défendre contre leur fin prochaine, se dresser en un ultime sursaut pour montrer qu’elles sontbelles encore, qu’on ne les jette pas maintenant, qu’on les laisse un peu dans l’eau. D’autres se sont résignées, qui ont baissé la tête, déjà vaincues, s’appuyant parfois contre le mur, comme exténuées. Certaines aimeraient pouvoir se fondre pour se faire oublier dans le papier-peint au motif suranné, comme il s’en trouve encore chez de vieilles parentes, les locations ou les chambres d’hôtels-terminus.

    Images acidulées de fleurs bientôt fanées qu’un rayon de lumière ou le flash du photographe vient égayer, ultimes souvenirs avant le compost ou la poubelle, elles ont cessé d’être objet d’admiration pour devenir bientôt celui de l’abandon, victimes du drame silencieux qu’est le temps qui passe. Pareilles à ces vieux costumes dont on ne veut se séparer, elles furent les témoins de promenades, de fêtes, de rencontres, d’instants heureux et de serments. Mieux que nous, elles ont su dire « Bonne fête », « Heureux anniversaire », « Bonne année », ou « Je t’aime », élues puis offertes, seules ou en bouquets. Leurs parfums s’en sont allés avec les souvenirs. Prétentieux ou modeste, translucide ou opaque, tassé ou élancé, bigarré ou neutre, le vase en- dessous demeure impassible ; cela lui passe par-dessus, il joue les utilités. Ce n’est pas son affaire si on le déleste de ses hôtes, si l’on changera l’eau. D’autres viendront, il suffit d’attendre. Il en a vu d’autres, en verra encore, il se trouvera bien une occasion. Le vase se suffit à lui-même et, dégarni, n’en sera que mieux contemplé.

    Rien n’est pourtant ici livré au hasard. Ces joutes florales, le photographe les a soigneusement agencées, pareil au peintre de natures mortes, organisant sa composition d’après des éléments chinés ou empruntés, jouant de la couleur et de l’équilibre en y laissant parfois quelques indices. Allégories du kitsch ? Mauvais goût ? Pas si sûr. Il faut à Michael Dans autant de tendresse que d’acuité pour accompagner ces veilles demoiselles vers leur ultime demeure, en tirer le portrait bien loin des catalogues de fleuristes ou de jardineries, et nous offrir par brassées ces images pareilles aux cartes postales au papier glacé que l’on envoyait autrefois, ornées de formules aux lettres dorées.

Xavier Canonne, 2020.
Directeur du Musée de la Photographie de Charleroi, (B).









    A travers des modes expressifs qui ont traversé tous les médiums, de la sculpture au dessin monumental, en passant par l'installation ; à travers des espaces de monstration là aussi diversifiés (du white cube à la rue), le travail de Michael Dans s'est déployé dans une multitude de situations et s'est avéré profondément polymorphe et souple, tout en étant d'une grande rigueur. S'il peut prendre des formes qui nécessitent une lecture, qui sont désarçonnantes, voire embarrassantes pour les images montrées ici, il repose pourtant d'abord sur une façon de trouver à décrire sans ambages, à présenter sans fard et sans faux-fuyant, mais non sans humour et second degré parfois, le cardinal et le nécessaire.

    Artiste plasticien, Michael Dans pratique la photographie depuis très longtemps. Ces dernières années, notamment au travers des séries de portraits bondage et de nu, ainsi que de natures mortes, elle a pris plus de place dans son oeuvre en tant que moyen d'expression à part entière. Au départ carnet de notes, images d'idées, elle a pu être un outil de travail en vue de la réalisation d'autres pièces mais il n'empêche : la prise directe qu'elle permet sur une situation ou un événement, son côté « frappant », la trace immédiate qu'elle permet de conserver lui conviennent et d'une certaine manière, lui correspondent, au-delà de la simple fonctionnalité ou de l'utilité que peut avoir l'appareil photo pour un artiste au XXIe siècle.

    Lorsqu'on parle avec Michael Dans, on s'aperçoit en effet que, malgré la distanciation très étudiée de son travail dans le résultat final – et l'aspect snapchot de ses images n'est qu'un leurre qui conserve en profondeur cette distance subtile –, il y a eu au départ une saillie, une impression forte qui marque sa sensibilité et qui ne connaît pas, ou très peu, de doute quant à sa validité ou sa légitimité. Toutes les réalités - les accidents, les bizarreries, les défauts, les difformités inattendues, les perversions, les agencements étranges -sont très acceptables, signifiantes, et touchantes même, pour Michael Dans. Cela se perçoit dans la série : il n'y a rien qui soit maintenu voilé si s'impose la nécessité de tenter l'image, rien non plus qui doive obligatoirement être montré (en cela, ces images s'écartent absolument de la pornographie – qui est, elle, strictement codifiée –, quelle que soit la crudité de certaines d'entre-elles). Cet effet du réel, marquant, qui n'est pas une impression ou une vague sensation mais qui semble plutôt relever d'une fulgurance, s'impose dès lors et requiert d'être mis en forme.

    Le plus souvent, faits de société et faits intimes se retrouvent noués. C'est le cas dans cette série où la contention des corps est à la fois l'expression d'une énergie scopique et sexuelle et une métaphore des entraves multiples imposées par le monde aujourd'hui et de leurs effets de jouissance autant que d'achoppement. Acteur et observateur, in et out, Michael Dans tire profit de cette position double, presque ubique, pour conserver un contact sensible avec sa pensée tout en la maintenant hors de toute emphase, de tout « message » ou de toute dénonciation simpliste. Dès lors, là où il se place, le regard moral n'a pas cours. Seul compte un travail formel qui se donne les moyens de son discours sans que celui-ci, cependant, écrase le spectateur. Par contre, il lui demande de regarder, il ne lui laisse pas le choix.

    Travaillant au flash, en couleurs, en plan rapproché ou plus large, Michael Dans confronte le spectateur au coeur de son propos et de sa vision propre, sans prendre de détour, sans clair-obscur, sans jamais se référer à la tradition de la photo de nu et sa palette de «caché-montré». Ici, il ne s'agit pas de dérobade de l'oeil mais au contraire, de prendre la pleine mesure du fait de corps, dans son organisation toujours étrange, poignante et agressive à la fois. On ne cherchera pas, dans les images, le détail signifiant. Il est d'emblée isolé dans un gros plan. On ne se demandera pas ce qu'il faut regarder : tout est là d'emblée, central, éclairé sans zone d'ombre. C'est sans doute cet aplomb qui est le plus déconcertant mais qui rend aussi le mieux compte du travail : la mise en scène est complète mais se donne des allures d'instantané, ce qui rend prégnantes la violence et la sensualité mêlées qui se dégagent des images. Le bondage comme métaphore des phobies contemporaines (ou comment pouvoir tout obtenir à condition d'être parfaitement adapté, absolument normal et d'avoir de l'argent) a en effet une double facette : l'appel au tout qui, de ne pouvoir être rencontré bien qu'étant promis, est en même temps source de plaisir masochiste et carcan irrespirable.










    Plus facétieux ou taquin que provocateur, Michael Dans est surtout un photographe ému, touché, désirant, comme peut l’être le photographe japonais Nobuyoshi Araki, un autre artiste ayant donné ses lettres de noblesse à la photo bondage. Inscrit dans l'actuel, sans référence historique comme pouvait en avoir Araki ¹ , dans l'écart de la tradition, Michael Dans utilise plutôt des références pop pour traverser le présent. Ses modèles sont ainsi immobilisés avec des bandes adhésives colorées ou dernièrement à motifs ; parfois le corps est sculpté par la contention et la couleur et donne lieu à une autre forme, ludique, morcelée ou tronquée ; des accessoires communs et improbables distraient le regard tout en érotisant l'image. A travers la série, quelques portraits et natures mortes s'échappent de la cruauté ou de l'ironie mordante pour révéler plus directement une émotion. Que les images soient sans fard et sans romantisme, n’en fait pas nécessairement des images qui ne cherchent pas l’improbable délicatesse, la solitude moderne et la beauté.

Anne-Françoise Lesuisse.
Directrice artistique de la BIP.

¹ Au Japon, le kinbaku ou l'art d'attacher avec des cordes est une pratique érotique codifiée qui dérive d'un art martial ancestral, l'hojojutsu.










    Depuis plusieurs années, Michael Dans questionne les normes sexuelles (plaisir, masochisme, fétichisme, bondage, masturbation, scatologie) et l’identité dans laquelle les femmes et les hommes sont socialement piégés. Sollicitant volontairement l’objectification et la fétichisation, il pastiche l’imagerie publicitaire et pornographique dans un fanzine en papier glacé dont le premier numéro est consacré à la soumission. Turlupin, comme une farce de mauvais goût - de celles dont on a soupé jusqu’à l’écœurement – comprend des images de femmes clowns, d’hommes soumis et d’arrangements floraux dans des petites saynètes tenant des clichés quotidiens largement diffusés par les magazines de mode et les médias de masse. « Mes images ne font pas bander » dit Michael Dans. « Je n’ai pas la volonté de faire un magazine érotique ou pornographique. D’ailleurs, Playboy, aujourd’hui, se rapproche assez d’un magazine féminin, comme Elle par exemple, mais avec quelques femmes nues. Ce n’est pas du hard ! Il contient d’ailleurs beaucoup plus de publicités pour des montres, etc. » En effet, l’artiste joue constamment la carte du grotesque et de la parodie et, par le côté sériel et répétitif de son travail, suscite délibérément une forme de lassitude. Ses femmes clowns, maquillées de couleurs criardes et fluos à la frontière du kitsch, sont affublées de costumes et d’accessoires bon marché ou de jouets enfantins (ustensiles de cuisine et set de repassage en plastique). Photographiées dans des acrobaties comiques ou pathétiques, leurs poses tiennent d’un cliché dont il semble bien difficile de s’extraire : corvées du quotidien jambes écartées, mine boudeuse et yeux mouillés, pose érotique soutenant les seins en avant. Pourtant, le maquillage dégouline ou est vulgairement posé. Une mèche de cheveux s’échappe de dessous la perruque. Le risque est ouvertement pris du grotesque et de l’obscène, loin des raffinements érotiques. Le nez rouge, le dentier pourri, le chapeau melon blanc, la collerette à pois et les autres parures de clowns sont là pour le sursignifier. Ils rappellent comment, dès leur plus jeune âge, les femmes apprennent à se constituer elles-mêmes comme des objets sexuels : faire régime pour entrer dans un 36, instagrammer son repas, regarder des tutos de make-up, …

    Comme d’autres artistes avant lui, Michael Dans explore le corps féminin réprimé par les lois patriarcales. C’est ainsi que, dès la fin des années 1980, les photographies de Cindy Sherman évoluent vers une forme de travestissement où les femmes s’approprient tout un ensemble d’apparences stéréotypées et un refus croissant de jouer le rôle d’objet fétiche. Transformée par le maquillage et les costumes, Cindy Sherman incarne différents personnages. Dans des autoportraits photographiques et des actions performatives, Valie Export a également mis en scène l’image pervertie du corps contraint, mutilé que donne - ou plutôt vend - notre société de consommation. Elle s’oppose à une civilisation qui détourne et manipule la libido en valeur marchande, qui transforme la menace que contient le corps en un jeu divertissant, ostentatoire, pervers. Centrée sur les politiques sexuelles du féminin, citons encore Carolee Schneemann qui interroge sa libido et sa sexualité coupable, empreintes de plusieurs tabous sociaux. Elle cherche à exprimer la repossession de ses pulsions et de ses désirs narcissiques, masochistes et sadiques encore peu avoués par les femmes elles-mêmes ou acceptés psychologiquement et socialement parlant.

    Plus que la soumission comme une aliénation féminine, Michael Dans dénonce l’impératif de soumission auquel est confronté chaque individu. Il interroge ce que la domination des hommes fait aux femmes mais également ce que la soumission des femmes fait aux hommes. Comment l’on se conforme à son genre et pourquoi il est si difficile d’échapper à «la force de cette prescription sociale¹». Ne se limitant ainsi pas à un point de vue hétéro-centré, l’artiste interroge également le conformisme de pratiques sexuelles autres en érotisant les hommes. Contrairement aux femmes clowns, ces corps masculins sont photographiés dans une cage d’escalier, un bureau vide ou encore dans un sous-sol, un hangar ou un parking sous-terrain. Ils sont bandés, attachés, cagoulés, travestis, soumis. Si les attentes sociétales sur l’apparence physique des femmes sont conséquentes (maquillage, épilation, habillement, etc.), le fait de prendre soin de soi, pour un homme, est encore souvent vécu comme une castration et perçu comme une féminisation. C’est pourquoi l’érotisation et l’objectification des hommes, en dehors de leur capacité d’action, d’une certaine virilité ou de l’agression, sont très rares dans l’histoire de l’art et dans nos représentations culturelles.

    Cette soumission, devenue fonction d’intégration puisque les comportements, les désirs, les attitudes sociales se sont adaptés à la logique du marché, mais aussi la manière dont notre société de consommation règle nos désirs, nos manières de penser, de prendre le corps pour le régenter et lui donner une forme conforme - qu’on forme - se retrouvent dans les photographies d’installations florales qui ponctuent le premier numéro de Turlupin. Loin des catalogues de fleuristes et de jardinerie, des fleurs naturelles ou artificielles, à peine écloses ou fanées, sont mises en scène avec d’autres objets triviaux, usés, sexuellement connotés, voire périssables (boite de conserve d’ananas, cigarettes consumées, steak cru, hot dog ou collier de perles). Dans des vases chinés souvent kitsch et devant des papiers peints démodés, ces bouquets évoquant les vanités de la peinture ancienne sont organisés avec le plus grand soin. «Lorsque je recoupe une tige pour organiser quelques fleurs dans un vase, lorsque j’applique du scotch sur le corps d’un homme ou que je peins des carreaux sur le corps d’une femme, je ressens, de la même manière, les odeurs, les matières, les émotions. Je fais le même travail de placement précis d’une main, d’un bouton, d’assemblage de couleurs et d’accessoires afin que rien ne soit laissé au hasard. Je soumets l’objet comme le sujet. Mon processus de travail comprend également un rapport de domination et de soumission.»

    … Et à travers une forme d’érotisme, un rapport à la solitude et à la mort. L’artiste pointe du doigt la vacuité des préoccupations d’une société de consommation qui enrégimente les façons de penser. Où l’apparence homogénéisée est devenue fonction d’intégration. Déviant des «canons» instaurés par notre société, les corps photographiés sont montrés comme autant de métaphores d’un corps qui doit résister et s’adapter au prix de grands efforts physiques et psychologiques. «Nous sommes avilis par ce que nous instaurons.», dit Michael Dans. Face à cette mécanique, se soumettre est parfois la meilleure des options et toute possibilité de résistance, autre que symbolique, semble bien difficile. D’où peut-être cette mélancolie qui sous-tend tout le travail de l’artiste.

Dorothée Duvivier.
Curatrice au BPS22.
Pour Turlupin 1 / Soumission, 2021.

¹ Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe, Paris, Gallimard, 1949.